Automne 1975. Une petite maison perdue dans un faubourg de Chartres, un jardin immense qui jouxte la voie de chemin de fer, une salle de séjour aux parfums rassurants et la tendresse de Solange. Du haut de ses six ans, le p’tit Pierrot va un jour découvrir, au coeur de ce havre, un fusil de guerre allemand. L’enfant a bien malgré lui réveillé les souvenirs…
Automne 2015. Pierre Bourcier a tout perdu. Son innocence, ses amours, ses racines, ses repères, son envie de vivre. Lorsqu’il traverse, par hasard, la ville de son enfance, il croise Georges, le fils de Solange. Au fil des confidences, et dans le but de redonner à Pierre le goût à l’existence, le vieil homme laisse tomber sa garde. Il va livrer, pour la première fois de sa vie, ses souvenirs d’adolescent, ses 15 ans au milieu de la tourmente.
"Emmène-moi là-bas "raconte les souvenirs d’un homme qui s’est longtemps obstiné à perdre la mémoire dans le seul but d’exister mais qui, après bien des réticences douloureuses, s’aperçoit qu’il ne peut quitter ce monde sans témoigner de l’enfer gravé au fond de lui.
Extraits du livre
Solange interrompt un instant ses travaux de couture et observe Pierre, son petit neveu, aux prises avec une armée de soldats de plomb d’un autre âge. Absorbé par son jeu, l’enfant ne fait d’abord pas attention à la vieille dame et continue d’inventer une scène de combat avec ces personnages qui meurent aussi facilement qu’ils ressuscitent.
Ils en ont traversé des conflits ces militaires modèles réduits menés qu’ils sont, depuis quarante ans, par plusieurs générations de généraux d’armées : Georges, Bernard, aujourd’hui le p’tit Pierrot. Ils se sont tous relevés jusqu’à présent et de nouveau sous la mitraille, ils perpétuent l’instinct guerrier des petits garçons qui passent par cette maison.
L’insistance de Solange finit par sortir Pierre de son histoire. Il oublie aussitôt le carnage qu’il vient de provoquer et va se coller contre sa tante en suçant son pouce. Ils sont seuls dans cette salle à manger aux parfums que l’enfant trouve rassurants. Solange prend Pierre sur ses genoux. Elle serre légèrement contre elle le corps menu du petit homme. Ce geste la ramène, le temps d’un souvenir fugace, aux jeunes années de son fils.
Pierrot ne reste pas longtemps immobile. Il retourne s’installer devant ses petits soldats mais le jeu ne l’amuse déjà plus. Il voudrait à présent le gros livre de bandes dessinées que la tante lui a sorti mercredi dernier : "les aventures de Bibi Fricotin". Il ne sait pas lire mais il aime imaginer les histoires d’après les dessins. Avant cela, Solange veut profiter du pâle rayon de soleil pour aller faire un tour. Ils sortent de la maison et empruntent le couloir couvert qui mène au jardin. Pierre se sent bien ici. Son affection pour la tante l’encourage à poser beaucoup de questions. Elles s’articulent souvent autour de l’oncle Raoul. Il est mort l’année dernière. Pourtant, rien n’a été modifié depuis son départ. Tante Solange a tout gardé. Ses vêtements, sa casquette, son dernier paquet de tabac. Solange laisse échapper un petit rire tendre lorsque Pierrot lui fait remarquer que ça ne sert à rien de garder tout ça puisqu’il ne reviendra jamais.
Notes perso :
Emmène-moi là-bas est ce qu’on pourrait appeler une biographie romancée puisqu’elle est librement inspirée de l’histoire du chartrain Henri Ramolet, résistant à 15 ans et déporté dans le camp de Buchenwald en Aout 1944. Comme je l’écris au début de ce roman, j’ai compris qu’il s’était passé quelque chose de grave en découvrant ce fameux fusil caché lorsque j’étais gosse. Il m’a fallu plus de quarante ans pour oser demander à ce grand cousin de me raconter ce que fut son adolescence entre 1939 et 1945. Après quelques années de réflexions, il a rassemblé tout son courage pour me livrer son intense calvaire. L'écriture de "Emmène moi là-bas" m'a pris plusieurs années. Une première version de 250 pages ne m'a, finalement, pas séduit et je suis reparti de zéro. Ma difficulté résidait dans le fait de romancer la vie d'un homme toujours bien vivant qui devait, coûte que coûte, se retrouver dans le personnage de George Bourcier. Bien sûr, hormis l'exactitude des faits de résistance, de l'arrestation et de la déportation d'Henri, j'ai, parfois, laissé libre cours à mon imagination. Henri Ramolet m'a, depuis le départ, fait une entière confiance quant à ma manière de témoigner de son douloureux parcours. Il a toujours refusé de lire le manuscrit et n'a lu ce roman qu'en même temps que les autres. Vous voudriez savoir ce qu'il en a pensé ? Lui et moi, avons une relation trop intime et pudique pour la partager.
Henri Ramolet est le cousin germain de mon père